Sélectionner une page

 492 Nombre de vues totales,  2 Vues du jour

SOMMAIRE

Première partie : Une mariée, un mariage et un départ.

Deuxième partie : La malédiction des Maurepas.

Troisième partie : Le vent du large

Quatrième partie : Vent de terre

Cinquième partie : Vent de Guerre (Jusqu’à l’épisode 22 inclus)

L’histoire de Paille : cinquième partie

 

Episode 46

La femme dégottée par Thérèse se prénommait Ivelina. Elle était sale et empestait, elle traînait autour d’elle un mélange d’odeurs d’étable, de purin et de fermentation. Ses cheveux blonds n’étaient qu’une sorte de tignasse où régnait une nuée de poux. Etonnamment, elle devait être jolie si l’on ôtait la robe en toile épaisse et son tablier râpeux recouvert d’une veste en velours usée et rapiécée. Un pauvre jupon qui n’avait plus de couleur, ressortait de dessous la robe pour finir sur de mauvaises chausses nouées par de la ficelle.

– Tu n’as rien trouvé de mieux, commença par dire Maurepas.

– C’est pour coucher avec ou bien pour nous mener de l’autre côté de Sofia sans être accroché par les troupes qui manœuvrent !

–  J’avais dit de suivre la côte et de remonter par Thessalonique.

– T’avais dit et on a fait autrement, intervint Solange. Qui sait où nous serions. Pour le moment, la route de Thérèse nous a plutôt réussis. On ne pouvait pas deviner que les Bulgares prendraient le parti des troupes austro-hongroises.

– Ils vont s’en prendre aux Serbes et nous sommes exactement au milieu de leur satanée guerre.

Boris, qui venait de prendre la parole, était d’une humeur massacrante. Il avait un mauvais pressentiment. Et puis il n’avait pas confiance en cette femme, surtout une paysanne. Déjà qu’il lui avait fallu un peu de temps à se faire à l’idée de voyager en compagnie de Thérèse. Pour Solange, la question ne s’était pas posée, dès qu’il l’avait rencontrée, il avait été conquis par son intelligence et sa finesse.

– On fait quoi alors ? finit par s’impatienter Thérèse.

– Elle veut combien d’argent ?

– Tu ne penses qu’à ça, ton foutu argent, comme s’il n’y avait que tes Louis d’or qui avaient de l’importance. De toute façon, elle ne veut rien !

Maurepas se trouva bête et ne sut rien dire d’autre que « Bon ! » Tous en déduisirent que c’était d’accord pour qu’Ivelina fasse la guide, ce qui n’avait été nullement la conclusion de Maurepas, mais il préféra n’en rien dire. Seule Solange avait deviné ce qui se tramait dans l’esprit tortueux de son aimé. Mais elle aussi préféra n’en rien dire. Ivelina prit la parole, tous écoutèrent sans comprendre jusqu’à ce que Thérèse se décide enfin à traduire.

– Elle dit que vous êtes tous des crétins de vous écharper ainsi !

– Je ne suis pas certaine qu’elle ait utilisé ces mots précis, ironisa Solange.

– Je résume.

– Alors pour quelle raison on serait tous des crétins, s’impatienta Maurepas.

– Ferdinand est une vraie girouette ! Un jour, il soutient le parti des Hongrois, le lendemain, il a changé d’avis. Il s’en est fallu de peu qu’il choisisse le camp allié des Français. C’est un revanchard de 1913, il n’a pas digéré la Macédoine !

– Ça veut dire quoi en résumé !

– Ça veut dire qu’on la suit.

Ils libérèrent les chevaux et ne gardèrent que la carriole attelée.

– Ne t’inquiète pas Petit Pierre, ils sauront bien se débrouiller et nous retrouver quand on aura besoin d’eux, rassura Paille en découvrant la tête de son ami.

Ivelina les conduisit à la porte orientale de la ville, mais au lieu de passer par l’entrée principale, elle contourna les murs d’enceinte. Par l’une des fosses, une grille donnait accès aux hommes chargés d’évacuer le fumier et les déjections des chevaux. Cet accès restait ouvert la journée et n’était gardé que par un homme. Ivelina se présenta et le type installé derrière une table, affalé sur sa chaise, se leva, se signa et disparut dans la salle de repos. Elle fit signe de s’activer expliquant à Thérèse que la police de ville ne tarderait pas à faire une ronde. Ils se retrouvèrent dans une ruelle qui traversait un des quartiers les plus pauvres de Sofia. La misère s’y déployait à longueur de rue. Au centre, une rigole déversait sur les pavés une eau sale qui empestait. Elle formait par endroits des flaques lorsque l’écoulement était gêné par du détritus. D’une rue adjacente, ils perçurent des cris.

– Ce sont des heurts entre partisans du prince et des opposants. Il faut rebrousser chemin.

– On peut passer par l’autre rue, on contournera ce quartier puant, proposa Pivoine.

– J’en suis, ajouta Paille. On va jeter un coup d’œil et on revient.

Ivelina protesta dans sa langue, mais les deux gars n’écoutèrent rien et n’en firent qu’à leur idée. Le temps qu’ils comprennent, il était trop tard, ils retrouvèrent coincés par les policiers qui arrivaient en sens inverse. Ivelina poussa ses compagnons à agir vite et à abandonner leurs camarades en mauvaise posture.

– Elle dit que c’est trop tard pour eux, expliqua Thérèse.

– On avait compris, répondit Boris.

– S’ils n’avaient pas été aussi têtus, on n’aurait pas été dans cette situation. On ne peut rien faire pour eux.

Maurepas craignait que la situation ne se détériore et qu’ils soient contraints de perdre un temps précieux sans savoir s’ils auraient seulement la chance de s’en sortir. Il attrapa le cheval de la carriole par le harnais, mais ce dernier ne bougea pas d’un pouce. Ivelina, qui avait fait quelques pas en avant, stoppa et attendit de voir. Personne ne réagissait. Maurepas s’énerva sur le cheval, le tirant et le frappant, mais ce dernier s’obstinait à ne pas bouger.

– Allez vous autres, on ne peut pas rester éternellement plantés là, on va se faire repérer.

Pas un ne fit mine d’agir, ils semblaient tous figés sur place, même Ivelina restait inactive, comme éteinte. Thérèse, arrêtée dans son mouvement, donnait l’impression de vouloir partir d’un pas alerte, mais ses pieds paraissaient collés au sol. Boris fixait la ruelle adjacente, tentant de déterminer si un danger n’arrivait pas de cette voie. Mais son corps, tourné bizarrement démentait cette intention.

– J’ai compris, tempêta Maurepas !

Je voudrais rassurer les nombreux lecteurs sur la santé mental de l’auteur : nous allons très bien !

L’histoire de Paille : épisode 47