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SOMMAIRE

Première partie : Une mariée, un mariage et un départ.

Deuxième partie : La malédiction des Maurepas.

Troisième partie : Le vent du large

Quatrième partie : Vent de terre

Cinquième partie : Vent de Guerre (Jusqu’à l’épisode 22 inclus)

L’histoire de Paille : cinquième partie

Episode 43

Une pluie d’orage avait arrosé la plaine du Morava. Un orage soudain, que le début du massif des Carpates avait bloqué dans la vallée. Les voyageurs étaient détrempés, l’intérieur de la carriole n’avait pas été totalement épargné et l’eau avait réussi à pénétrer par les ridelles disjointes. Ils avaient fait une étape de cent vingt kilomètres sans difficultés à part la montée jusqu’au village du Jagolina. Pourtant, la fatigue se faisait sentir, une fatigue mauvaise, liée à l’humidité que les trombes d’eau avaient créée maintenant que la chaleur reprenait le dessus. L’installation du campement avait été plus longue qu’à l’habitude. Il avait fallu tout sortir et étendre le linge sur l’herbe afin qu’il sèche. Par acquis de conscience, Thérèse et Valentin avaient tendu la toile cirée. Les chevaux, laissés à eux-mêmes, s’ébrouaient dans le canal d’irrigation qui bordait le village.

Le feu avait eu du mal à partir, il avait fallu s’y reprendre à trois fois à cause de l’amadou humide. Mais maintenant que le bois était bien sec, il crépitait joyeusement. Boris sortit sa blague à tabac, se bourra une pipe et la passa à Pivoine qui préféra se rouler une cigarette qu’il alluma avec un tison. Boris se leva pour rejoindre Paille, debout, le regard fixé sur le chemin qui menait à la route principale. Il le saisit par l’épaule.

– Ce soir, nous n’aurons pas d’ennui, les hommes se sont fatigués dans les champs à moissonner avant l’orage. Ils vont dormir tôt.

Boris accompagna Paille en le poussant dans le dos afin qu’il rejoigne le groupe et s’installe sur une couverture. Boris lui proposa son tabac, Paille en prit une pincée qu’il se fourra dans la bouche.

– Je vais chiquer, je n’aime pas la fumée, ça me fait tousser, dit-il tout en s’installant sur la couverture.

Tous savaient pour quelle raison Boris était allé chercher Paille, tous n’avaient qu’une envie, écouter l’histoire de Paille, mais tous, y compris Boris, savaient qu’il ne fallait pas quémander, que Paille n’aimait pas qu’on le brusque et qu’il parlerait quand l’heure serait venue. Petit Pierre se leva et vint se placer à la droite de Paille, il s’assit à même le sol et regarda son ami avec un grand sourire. Petit Pierre et Paille partageaient une vie de paysan dans la vallée de la Girance et ils avaient beaucoup de respect l’un pour l’autre.

– Alors, dit Petit Pierre, simplement.

Paille le dévisagea, puis il regarda chaque personne présente autour du feu. Il fallait ça pour qu’il se sente rassuré et qu’il puisse prendre la parole.

– Tout d’abord, Petit Pierre, désolé de te décevoir, mais à l’origine, nous étions grecs. Mon père a quitté le pays quand ma mère était enceinte de moi. On vivait à Ciclyos, au bord de la mer Egée. Mais la vie était devenue trop misérable, alors le père a mis toutes ses économies dans un voyage en France. C’était pas une très bonne idée. On a voyagé dans les soutes et mon père a attrapé la maladie rouge. De paysans pauvres en Grèce, on est devenu paysans pauvres en France. Dès mes seize ans, j’ai été placé comme manœuvrier dans la manufacture de tannage de la vallée du Var. Puis je me suis enfui.

– Là-dedans on était traité pire que des esclaves. Les gars de Gardérance m’ont raconté, le patron les aurait crevés à la tâche s’ils ne l’avaient pas foutu dans la Girance. Y a eu un procès, les corporations ont protesté, mais on a gagné !

– Tu y as jamais travaillé, plaisanta Solange.

Petit Pierre haussa les épaules.

– Après, je me suis loué dans les fermes, à la tâche, reprit Paille. Puis je suis tombé sur un homme bon. Je peux pas dire autrement. Il payait bien, j’avais un lit dans l’arrière de la maison et s’il faisait trop froid, je pouvais dormir avec eux. Je partageais même le couvert.

– Ils te laissaient les restes à finir, demanda Valentin qui lui aussi avait vécu dans des conditions similaires.

– Non, on était tous installés autour de la table et j’avais le même repas qu’eux.

– Celui que préparait la femme ! intervint Petit Pierre qui n’en croyait pas ses oreilles.

– Comme je vous le dis. Et elle était gentille avec moi.

– Y avait des enfants ? questionna Thérèse qui avait fini par s’intéresser.

– Trois, deux petites et un bébé qu’était pas bien fort. Ils l’avaient baptisé vite fait au cas où. Mais à force d’attendre qu’il meure, on s’est lassé et le petit bonhomme a survécu.

– En gros, t’étais le plus heureux des hommes, ironisa Boris.

– Tu crois pas si bien dire. J’étais un peu de la famille pour eux, une sorte d’oncle ou de cousin lointain.

– Un cousin grec, doit pas y en avoir beaucoup dans ton trou paumé, plaisanta encore Boris.

– Bon, je vais me coucher dit Paille sans autre forme de procès.

Personne n’insista, quand Paille avait décidé quelque chose, y avait pas à y revenir.

– Tu crois qu’il est vexé demanda Boris en s’adressant à Solange.

– Non, il en faut plus que ça. Je ne sais même pas si c’est possible. Je crois juste qu’il veut dormir. Et moi aussi.

– Tu vas rejoindre Maurepas ?

– Pas ce soir, j’ai besoin d’être seule.

– Tu es triste, on dirait.

– Un peu, mais oublions cela pour le moment.

 Pour une fois, faisons simple et concis : la bise et à demain !

L’histoire de Paille : épisode 44