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SOMMAIRE

Première partie : Une mariée, un mariage et un départ.

Deuxième partie : La malédiction des Maurepas.

Troisième partie : Le vent du large

Quatrième partie : Vent de terre

Cinquième partie : Vent de Guerre (Jusqu’à l’épisode 22 inclus)

Vent  debout : cinquième partie

Episode 57

Combien de temps elle avait passé inconsciente, elle n’aurait su le dire. C’était sa main qui l’avait fait réagir, on tapotait dessus pendant qu’une autre main lui prenait la nuque. L’absence de lumière et l’eau qui dégoulinait sur sa figure obscurcissaient sa vision. Ce fut l’éclair soudain qui lézarda le ciel suivi d’un claquement infernal qui illumina ce qui avait été une cave ou bien les fondations d’une maison. La silhouette d’un homme à la stature imposante se découpa dans l’enchevêtrement de nuages noirs qui se bousculaient au-dessus des ruines. Une voix rocailleuse, lui susurra à l’oreille des mots qu’elle perçut très bien malgré le brouhaha continuel que produisait la bourrasque. Le vent piégé dans cette prison de pierres usées, tournoyait sur lui-même avant de ressortir pour aller se perdre dans la nuit.

– L’eau monte très vite, il faut que tu réagisses, tu vas mourir noyée.

Celui qui s’adressait à elle, était posé, il ne paraissait pas inquiet, il se voulait même rassurant. Cette situation lui rappelait des souvenirs d’enfance, d’hommes venus s’occuper d’elle quand elle tombait de vélo, ou bien qu’elle avait eu peur des bêtes comme elle disait. Bêtes qui regroupaient les araignées, les serpents, les lucanes et autres insectes imposants. Ils constituaient une catégorie fourre-tout que son père tournait en dérision. Un seul la prenait au sérieux, ce vieux bonhomme tout tremblotant avec sa canne. Il devait se concentrer un temps avant d’avancer sa cuiller dans la bouche et pour éviter d’asperger la table avec son contenu. Qui était-ce ? Voilà la question qui monopolisait ses pensées, inconsciente du danger grandissant qui se précisait autour d’elle. « Grand papa ! » Elle avait enfin retrouvé le nom qu’elle cherchait.

– Appelle-moi ainsi si tu veux, mais il faut que tu réagisses maintenant !

Isabelle restait préoccupée, une impression gênante, un fait qui ne cadrait pas avec la situation. Pendant qu’on la secouait de plus en plus violemment, elle persistait à réfléchir, à vouloir cette résoudre cette énigme qui se présentait à elle.

L’eau pénétra ses poumons provoquant une douleur atroce qui la fit réagir. Elle se débattait pour surnager. Ses pieds touchaient à peine le fond. « Il est mort, Grand papa est mort ! » Voilà ce qui ne collait pas, et aussi qu’elle n’était plus la petite fille qui venait enquiquiner ce brave homme qui pouvait à peine se mouvoir « Porca Pétan ! » s’écriait-il, quand, à bout de patience, il voulait que cette maudite gamine obéisse. Puis il regrettait de suite son emportement et lui caressait la nuque. Une deuxième fois, l’eau entra dans sa bouche, mais cette fois elle eut le réflexe de fermer l’entrée de sa trachée.

L’homme qui lui avait soulevé la nuque et tapoté la main n’était plus là, pourtant elle sentait sa présence. Elle se débattit pour tenir sa tête hors de l’eau. Elle s’agitait en tous sens, perdant une énergie considérable dans des mouvements inutiles.

– Calme-toi, tu es en train de mourir, il faut te calmer et saisir la corde.

Ce n’était plus la même voix, une voix de femme. L’homme était là, légèrement en arrière, mais ce n’était plus lui qui parlait. Et la voix claire, précise, mais qui imposait l’obéissance, la fit réagir dans le bon sens. Elle s’économisa, réduisant le nombre de brasses et mouvements de jambes au minimum. Elle réussit même à se défaire de ses sandales pour gagner en efficacité.

– Accroche la corde autour de ta taille, Camille et moi allons te hisser.

– Je ne peux pas !

– Laisse-toi couler et attache-toi pendant ce temps-là ! continua la femme.

Isabelle respira un grand coup, elle tira la corde vers elle, fit le tour de sa taille, mais la corde lui échappa des mains. Elle eut toutes les peines du monde à atteindre le fond pour se repousser. L’eau avait encore gagné en hauteur.

– Ce n’est pas possible, bafouilla-t-elle.

– Tu n’étais pas loin de réussir, tu dois réussir. Bientôt, tu seras épuisée à nouveau et te noieras toute seule dans les décombres du village.

Isabelle ne comprenait pas pour quelle raison la femme lui avait dit ces mauvaises paroles, mais cela eut pour effet de décupler sa rage. Rage qu’elle transforma en volonté, volonté de survivre. La deuxième tentative fut la bonne.

– Très bien, maintenant le plus dur reste à faire, il va falloir que tu nous aides en t’agrippant à tout ce que tu trouves à ta portée.

La corde lui coupa le souffle sous l’effet du poids de son propre corps. Tant bien que mal, elle se concentra sur la paroi qui se présentait devant elle. Les trombes d’eau avaient laissé place à une pluie de petites gouttes, mais qui tombaient drues. Une racine avait réussi à se frayer un chemin dans la pierre, Isabelle s’y agrippa, tout en se demandant comment elle n’avait pas vu cette remarquable prise avant. Ses pieds se calèrent avec facilité dans les pavés disjoints dont le torchis avait disparu. Dans un dernier effort, elle se hissa sur les coudes pour passer les jambes au-dessus du mur et se retrouver sur la terre ferme. Elle roula sur le dos et ferma les yeux.

– Bravo, tu as réussi ! Maintenant, tu n’as plus besoin de nous, n’est-ce pas mon amour qu’elle n’a plus besoin de nous ?

Puis les paroles et les mots devinrent à peine perceptibles, elle aurait souhaité au moins pouvoir remercier ces inconnus, mais la fatigue fit qu’elle perdit conscience à nouveau.

Je vois… je vois… je ne vois rien venir ! Anne, ma sœur Anne, a encore dû rencontrer un type sans imagination… Ah, j’allais oublier le bisou quotidien…

Vent debout : épisode 58