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SOMMAIRE

Première partie : Une mariée, un mariage et un départ.

Deuxième partie : La malédiction des Maurepas.

Troisième partie : Le vent du large

Quatrième partie : Vent de terre

Cinquième partie : Vent de Guerre (Jusqu’à l’épisode 22 inclus)

Vent  debout : cinquième partie

Episode 54

Epuisé par Isabelle, le père avait accepté de se rendre au village avec elle pour en finir avec cette histoire. Madeleine avait insisté pour les accompagner, à force de persuasion, ils avaient cédé. Ils avaient alors emprunté les chevaux du voisin, Isabelle s’était installée sur l’alezan seule et les deux autres sur le même cheval à la robe café au lait. Deux animaux faits pour le labour. Ils n’étaient pas très rapides mais puissants. Isabelle s’arrêta un moment pour voir l’endroit où on l’avait retrouvée, inconsciente. La route défoncée et le ravin lui avaient filé un coup au cœur. Elle réalisa à quel point il s’en était fallu d’un rien qu’elle ne finisse au fond de la Girance, comme sa sœur. Le petit muret, censé protéger du vide, avait dégringolé dans la pente et il fallait une bonne dose d’assurance pour passer l’endroit sans éprouver de vertige.

Mais une surprise de taille attendait Isabelle à l’arrivée dans le village abandonné, une surprise bien plus déroutante que les périls auxquels elle avait échappés. Ils appelèrent, fouillèrent le moindre recoin, personne. Le taudis dans lequel vivait Tournau la sorcière, n’était plus habité que par les toiles d’araignées et la poussière. La maison avec les affaires de Solange par contre existait bel et bien. Mais la réalité qu’avait côtoyée Isabelle s’arrêtait là. De retour chez elle, elle avait disparu dans sa chambre et s’était jetée sur son lit. Elle avait ruminé toute cette histoire l’après-midi entière.

Au moment du repas, elle réapparut. La famille était à table pour le souper. On lui servit une assiette de potage, qu’elle repoussa de la main. La bouteille de vin était au bout de la table, elle se leva, fit le tour et s’en empara puis se servit un verre bien rempli sous le regard atterré de sa mère.

– Je peux en avoir aussi, demanda Madeleine.

Mais personne ne prit en compte sa question.

– Pourquoi ne pas nous avoir dit qu’elle s’était jetée dans la Girance !

– Alors, elle est morte notre grande sœur, intervint Madeleine.

A nouveau tous ignorèrent son intervention.

– Parce qu’on n’en savait rien, dit la mère des deux filles. On n’a jamais retrouvé son corps.

– Comment on l’a su alors ?

– C’est le Cantonnier qui dit l’avoir vu.

– Amédée est un soûlard, il est ivre dès le matin, on ne va pas croire cet imbécile, coupa le père.

– Et après, que s’est-il passé ? interrogea Solange en s’adressant à sa mère.

– Il est allé chercher le chef de gare. Ils sont descendus par le sentier des pêcheurs, ils ont remonté la rive dans un sens puis dans l’autre. Ils n’ont rien trouvé. Le chef de gare a appelé les gendarmes, ils ont repris les recherches, mais ça n’a rien donné.

– Mais dans la maison du village abandonné, il y a les habits de ma sœur, même sa barrette en émail !

– C’est certainement cette vieille fadade qui est venue jusqu’ici les dérober. Baraga dit qu’il l’a vue à la nuit sortir de chez le maréchal-ferrant et le lendemain le pauvre avait été volé de mille francs.

– Papa, tu sais bien que ce sont des racontars. Le maréchal-ferrant est un escroc, ainsi, il a pu se faire payer deux fois !

– Mange ta soupe au lieu de ressasser les histoires du passé.

– Quand est-ce que vous l’avez vue pour la dernière fois ?

– Le lendemain de la fugue de Maurepas.

– Je me souviens que vous êtes rentrées avec la carriole du père Pontuis, en pleine nuit.

– T’étais même pas née dit Isabelle sans même regarder sa sœur.

– Si j’étais née, j’avais cinq ans.

– Elle a raison expliqua la mère. Solange a même pas mangé, elle a filé dans sa chambre.

– Et elle a pleuré toute la nuit, continua Isabelle.

– Alors c’est la dernière fois qu’on l’a croisée. Si j’avais su, j’aurais pu…

Isabelle ne réussit pas à terminer sa phrase, elle sanglotait. Sa mère s’approcha d’elle et la prit dans ses bras.

– C’est pas la dernière fois qu’on l’a vue.

– Qu’est-ce que tu racontes encore comme idiotie, rétorqua sa sœur à Isabelle dans un dernier sanglot.

– C’est pas des idioties. Deux jours après, elle est venue chercher sa robe bleue dans la chambre. Je m’étais installé avec les poupées pour faire la dînette. Elle m’a même embrassé et m’a dit « adieu ».

– C’est bien la preuve qu’elle ne s’est pas suicidée alors, dit Isabelle.

– Ne dis pas ce mot.

– Tu crois quoi maman, qu’elle va venir te tirer les pieds pendant la nuit !

Isabelle ne parla plus de la soirée. La soupe était à peine tiède, mais elle la mangea quand même. Dans le verre de vin, elle trempa à peine les lèvres. Puis elle quitta la maison de ses parents, pour rejoindre la sienne, celle des Maurepas, celle de Lucas. Elle n’avait plus qu’une idée en tête, parler avec le Cantonnier.

 Comme une ritournelle de tous les jours, s’enchaînent les épisodes et les bisous…

Vent debout : épisode 55