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SOMMAIRE

Première partie : Une mariée, un mariage et un départ.

Deuxième partie : La malédiction des Maurepas.

Troisième partie : Le vent du large

Quatrième partie : Vent de terre

Cinquième partie : Vent de Guerre (Jusqu’à l’épisode 22 inclus)

Vent fort : cinquième partie

 

Episode 38

L’ordre de marche n’avait pas changé depuis Novska. Pivoine ouvrait la route, derrière lui chevauchaient Petit Pierre et Solange, suivait le chariot. Thérèse tenait les rênes, assis à ses côtés, Valentin observant l’horizon. Un horizon qu’il ne perdait pas de vue, comme s’il en allait de la survie de tous, comme si, de cet horizon pouvait déferler le déluge ou bien quelques rapaces gigantesques qui auraient avalé leurs proies humaines d’une bouchée. Fermant la marche, Paille sur sa monture à l’aspect effrayant accompagné de Boris. Ceux qui voyaient l’animal, croyaient sans le moindre doute qu’elle sortait tout droit de terre. Son cavalier, dont la moitié de la figure avait été arrachée par la chute dans le col de l’Inferneto, lors de l’affrontement avec une bande de brigands, ne déparait pas. L’animal et l’homme étaient chacun à l’image de l’autre.

Ils avaient délaissé le massif du Psunj pour entrer dans l’immense plaine de la Save. On n’y voyait que cultures entrecoupées de prairies, de petites forêts et bien souvent de bosquets d’arbrisseaux qui se battaient contre la sécheresse. Lorsqu’ils entraient dans les villages et petites villes, les habitants continuaient à se signer et disparaître chez eux en claquant la porte S’il s’agissait de paysans au travail dans leur champ, ils arrêtaient ce qu’ils avaient entrepris, récitaient une prière et dès que les cavaliers les avaient dépassés, ils se remettaient au travail sans lever le nez de la journée de peur d’attirer le mauvais sort. Aucun ne se demandait s’il s’agissait de Croates pro Serbe ou bien des frankistes de Banovine soutenant une alliance avec la Hongrie. Pas un n’aurait imaginé qu’ils chevauchaient ainsi depuis l’ancien duché de Savoie, qu’ils parlaient plus l’Italien que le Français dans un patois que seuls comprenaient les gens issus de l’arrondissement de Gardérance. Par deux fois, des hommes de loi avaient eu l’intention d’arrêter ces intrus. Mais très vite, le plus haut gradé, influencé par la nonchalance de ses hommes, avaient préféré leur faire gagner le casernement et oublier ces inconnus qu’ils qualifiaient parfois d’hommes de misère ou encore de vagabonds.

Le silence entre les cavaliers n’avait pas été rompu depuis le passage de la grande ville de Slavonski, soit une bonne soixantaine de kilomètres et plus de dix heures sur une selle sans la moindre pause. Ils traversaient maintenant une forêt de chênes qui avait remplacé une étendue de garrigues où les genévriers parsemaient de bandes bleutées les sillons d’ajoncs.

– Tu es inquiet pour ton ami !

– Un peu, répondit-il après réflexion

Un grand oiseau vint tournoyer au-dessus d’eux, puis il s’éloigna n’ayant pas trouvé sa pitance. Boris observa le rapace.

– C’est un vautour griffon, lui indiqua Paille. Il a préféré d’autres espaces plus tranquilles. Notre présence le dérange !

– Notre allure est trop rapide, il aura du mal à nous retrouver.

– Nous faisons fuir ses proies et elles se cachent.

– Faisons boire les chevaux.

– Ils n’ont pas soif et ne t’inquiète pas pour Maurepas, il saura bien nous rejoindre. Tu sais que ce qui prime, c’est son frère. Il serait le premier à nous reprocher notre retard.

– Tu as raison.

Ils avaient délaissé la rivière bordée de hêtres et sa fraîcheur agréable quand la brise soufflait sur la plaine. Ils ne retrouveraient la Save que dans une bonne centaine de kilomètres. Les longues étendues drainaient un air sec, surchauffé par une lumière qui fatiguait les yeux. Sur le bord du chemin, un vieux poussait péniblement une charrette à bras, sa femme suivait à quelques pas en arrière. L’homme reposa la charrette sur sa béquille, ôta son chapeau et salua. Il resta incliné tout le temps que passèrent les cavaliers. Sa femme salua à son tour, mais elle releva la tête de suite et la garda bien haute. Leur charrette était vide, ils semblaient venir du bout du monde et donnaient l’impression de se rendre à l’autre bout de la terre. Ils marchaient parce qu’il le fallait bien, ils marchaient parce qu’ils ne savaient rien faire d’autre. Ils auraient aimé devenir les compagnons de route de ces gens qui avaient un but que l’on devinait à leur maintien, à leur regard fixé sur le lointain et à leur allure imposante. Personne ne leur avait proposé de s’associer au convoi, ils n’en furent pas vexés, encore moins en colère. Leur cheminement était une façon de contempler le temps dans lequel ils étaient enfermés.

Quand je pense au temps que je passe à travailler, je regrette le temps que je passe à ne rien faire… et réciproquement !

 Une bise ultra rapide, car j’suis à la bourre !

 

vent fort : épisode 39