Sélectionner une page

 496 Nombre de vues totales,  4 Vues du jour

Vent fort : cinquième partie

 

Episode 30

Le petit convoi avançait tranquillement. Il avait pénétré la Carniole intérieure depuis plusieurs kilomètres. Les contreforts alpins venaient mourir en une multitude de petits massifs recouverts d’une végétation rase faite de petits arbustes épineux que dévoraient les chèvres. La vallée bénéficiait encore de la douceur matinale. Chacun était silencieux, l’esprit absorbé par la succession des paysages qui enchantait la campagne. Seul Maurepas n’avait pas cette préoccupation. Il pensait à son frère, il essayait de l’imaginer faisant face à l’ennemi, dressé sur son cheval attaquant le sabre levé ou bien le fusil à l’épaule, bien arrimé sur sa monture, alignant un soldat turc et faisant mouche à chaque coup.

– A quoi penses-tu l’ami.

Pivoine s’était porté à sa hauteur, Maurepas lui raconta sa vision des combats contre l’armée ottomane. Pivoine le dévisagea, attendit un peu avant de lui parler.

– Je ne voudrais pas t’inquiéter inutilement, mais tu imagines cette guerre comme du temps de Napoléon. Les échos que j’en ai eus, sont tout autres.

– Qu’en sais-tu, tu y étais ?

– Non mais j’ai vécu en compagnie des soldats stationnés en garnison de la Ville Franche, peut-être l’as-tu oublié ?

Maurepas ne répondit rien, il hésitait. Avait-il seulement envie de savoir, ne préférait-il pas vivre dans une illusion au milieu d’images d’Epinal tirées des gravures de la Mairie du chef-lieu.

– Veux-tu savoir ce qu’on dit dans les casernements ?

Maurepas tourna vers lui un regard inquiet. Oui, il voulait savoir. Il ne fit qu’un signe imperceptible de la tête, mais Pivoine n’eut pas besoin de plus.

– Les pauvres gars sont planqués dans des trous d’obus pour ne pas se faire tirer comme des lapins. Pendant ce temps, la mitraille découpe et tranche les corps. Non, ce n’est pas comme tu l’imagines. Certains y perdent la raison, d’autres se sont résignés à coup de picole. Mais quand ils quittent leurs abris, pour tenter d’enfoncer les lignes ennemies, c’est la peur au ventre et la chiasse au cul !

– Arrête de le torturer avec tes salades, viens plutôt me tenir compagnie, intima Boris qui voyait le visage de son ami se décomposer au fur et à mesure des informations que lui donnait Pivoine. Va rejoindre Solange, elle veut te parler. Maurepas éperonna sa monture et rejoignit la tête du convoi.

– T’avais besoin de lui raconter des idioties pareilles !

– Il a voulu savoir.

– Et tu crois qu’il est mieux avancé maintenant ?

– Non, mais à sa place, je préférerais connaître la vérité et si un ami me l’avait cachée alors qu’il savait ce qui se déroulait, il ne l’aurait plus été… mon ami.

– J’avais compris. Mais quelquefois, la véritable amitié, c’est de savoir qu’on risque de la perdre pour agir bien. Tu as soulagé ta conscience, c’est tout ce que tu as fait. Mais je t’en veux pas, on fait ce qu’on peut avec la dureté de la vie.

Maurepas se plaça tout prêt de Solange qui elle-même côtoyait Paille.

– Tiens te v’là ? Qu’est-ce qui t’amène ?

– Boris m’a dit que tu avais à me parler.

– Drôle de Boris, je parie qu’il avait plutôt envie de se débarrasser de toi.

Maurepas s’adressa à Paille.

– Veux-tu que nous fassions une pause, ton cheval est bien mal en point.

– Il va bien.

– Et toi ? Lorsque tu t’es déshabillé hier soir, j’ai vu l’état de ton corps, tu ne vaux pas mieux que l’cheval !

– Je vais bien aussi.

– Quand même, tu nous as éblouis hier, intervint Solange pour changer de sujet. La façon dont tu as fondu sur les soldats ! Tu les as terrorisés, ils t’ont cru tout droit sorti des enfers. J’en ai vu faire le signe de croix !

– Ces Hongrois étaient surtout de mauvais soldats. Ils ont fait feu trop vite et sans viser. Dans ce cas, le sabre fait la différence.

– Tu les as décimés ! Et si nous nous en sommes bien sortis, c’est aussi grâce à toi ! Tu peux le remercier au lieu de le regarder comme si tu ne l’avais jamais vu !

– On ne s’arrête pas alors… Ribnica est encore loin ? Thérèse ! Ribnica, c’est loin ?

Thérèse, qui dormait à moitié sur son siège, fut réveillée délicatement par Valentin.

– Ils veulent savoir si…

– J’ai entendu ! Encore au moins cinq heures de route…

Thérèse se laissa aller à nouveau, très vite, elle piqua du nez. Valentin gardait un œil sur sa compagne, au cas où elle viendrait à basculer, ce qui n’était encore jamais arrivé. Pendant ce temps, Solange reprit son allure tranquille, avec à sa droite Paille et Maurepas à sa gauche. Paille piquait aussi plus ou moins du nez. Maurepas l’observait intrigué.

– Ne t’inquiète pas pour lui. Je ne sais pas comment il tient ainsi, mais il tient !

vent fort : épisode 30