Maurepas : la suite (épisode 29)

Vent fort : cinquième partie

Episode 29

 La nuit s’annonçait douce, une légère brise traversait la campagne, chacun finissait de grignoter ce qu’il avait sous la main. Une large tranche de pain pour les uns, un peu de viande dessalée pour les autres. Boris attisait le feu pour le relancer.

– On risque pas de se faire repérer ? demanda Valentin.

– Non, le remblai nous protège des regards et de l’autre côté, les bosquets son touffus.

– Comment va ta blessure, intervint Maurepas, enroulé dans sa couverture.

– C’est plutôt à toi qu’il faudrait poser la question.

– Tu as été traversé de part en part, deux fois de suite et tu as passé l’après-midi à chevaucher.

– Le gras, ça ne compte pas et Thérèse fait des miracles. Hein Thérèse que tu fais des miracles.

Elle était adossée à la carriole, elle grogna une sorte de réponse. Solange se leva et vint inspecter la carriole.

– Crois-tu qu’elle tiendra le coup ?

– L’essieu n’a pas souffert, et le cerclage des roues est en bon état, le reste, on pourra toujours rafistoler.

Plus personne ne parla durant un moment, laissant entendre les bruits de la forêt qui occupait les deux côtés de la route qu’il avait délaissée.

– Salut à tous !

– Paille ! s’écria Petit Pierre qui s’était relevé d’un coup.

– Alors c’est toi qui a attaqué les soldats par l’arrière. J’ai vu un cavalier traverser la clairière comme l’éclair, je ne savais pas que c’était toi.

– Moi, je le savais, ajouta Solange.

– Tu nous suis depuis le début, n’est-ce pas ? questionna Maurepas.

Paille toujours sur son cheval confirma. Ce qu’il craignait le plus, c’était la réaction de Maurepas.

– Pourquoi es-tu resté à distance, tu avais peur de…

Maurepas se tut d’un coup, il venait de découvrir l’état du cheval de Paille. La pauvre bête avait tout en pan du côté droit arraché, une affreuse cicatrisation avec refermé les plaies. Le museau n’était guère mieux et l’animal avait perdu un œil.

– Il faut l’abattre, il doit souffrir le martyr s’écria Maurepas.

– Et moi, tu vas m’abattre aussi, dit Paille, calmement.

Maurepas se tut d’un coup, il venait de découvrir l’état du cheval de Paille. La pauvre bête avait la peau du côté droit entièrement déchiquetée. Le museau n’était guère mieux et l’animal avait perdu un œil. La cicatrisation parvenait à grand peine à atténuer l’horreur que provoquait la simple vue de l’animal.

– Je voulais pas que tu nous voies avant que les plaies soient plus supportables. Paille portait une large chemise et un pantalon de toile. Maurepas se mit à imaginer le restant du corps de l’homme debout au milieu du campement. Boris se leva, trancha un morceau de viande et du pain et le tendit à Paille.

– Merci, dit-il simplement.

– Veux-tu un peu de gnole ?

– C’est pas de refus.

– Tu m’as impressionné pour un paysan. Trois soldats au premier passage et deux autres au deuxième ! Où as-tu appris à manier le sabre ?

– C’est une longue histoire.

– On n’est pas pressé, hein vous autres qu’on n’est pas pressé. La route est encore longue, ça nous occupera un peu.

– Alors à chaque arrêt, décréta Maurepas, pour ne pas nous ralentir et que tout le monde en profite. Et pas ce soir, on a besoin de dormir. Demain, il faut partir à l’aube et avoir l’esprit clair. On ne sait pas sur qui on va tomber.

– Les Autrichiens ne se trouveront plus sur notre chemin. Ils sont bien trop occupés avec les Italiens du côté de Trieste.

– Comment tu sais ça ma Thérèse adorée, intervint Pivoine. Serais-tu une espionne ?

– Non, mais je me renseigne avant de trancher la gorge d’un ennemi !

Sur ces derniers mots, chacun gagna sa couche et s’enroula dans sa couverture excepté Maurepas qui était déjà installé. Solange se rapprocha de lui et se cola tout contre lui. Elle ne l’embrassa pas, au grand dam de Maurepas.

– Tu es fâchée contre moi ?

– Non, mais je ménage le blessé, je ne voudrais que tu meures à cause de nos ébats. Maintenant tais-toi et dors ! Sinon je vais me coucher près de Petit Pierre ! ajouta-t-elle uniquement pour le faire bisquer. « Espèce de Faraud ! » murmura-t-elle en singeant Boris. Maurepas sourit, se pelotonna contre Solange, lui vola un baiser quand même et s’endormit.